LES habitants de Port-Gentil retiennent leur souffle. Ils ont encore en mémoire les violences post-électorales de Port-Gentil de septembre 2009. L’importation récente par le gouvernement de tout un arsenal d’armement militaire, dissimulé dans des conteneurs charriés au nouveau port par le navire SCL Akwaba, est venue réveiller triste souvenir.
De fait, il est difficile de ne pas penser que le pouvoir a préparé un génocide pour imposer de nouveau Ali Bongo à la tête de l’Etat. Dans la capitale économique, nombreux sont d’ailleurs ceux qui pensent que les massacres de 2009 comportent une dimension de crimes contre l’humanité. Les gens, expliquent-ils, étaient refroidis par balles en plein jour, dans la rue ou devant leurs maisons, de manière à traumatiser les rescapés et décourager toutes velléités contestataires.
Ainsi, un certain Aimé Mbadinga, la trentaine environ, fils de feu Patrice Boulingui, ancien fonctionnaire et notable de Tchibang, profession chauffeur, fut tué vendredi 4 septembre au quartier Balise par des militaires circulant en voiture dans le sens quartier chic-Balise, vers 18 heures 30. Certains militaires portaient une cagoule et d’autres un béret noir. Le corps récupéré par la famille avait été transféré à Tchibanga le vendredi 11 septembre pour inhumation.
MORGUES SATUREES. Un jeune homme de 18 ans, Thierry Ndongo Mombo, fils du notable Urbain Ndongo, avait reçu une balle qui lui a transpercé le thorax, dans la nuit du 4 au 5 septembre sur la route de Ntchengué, face à l’école de feu de Total Gabon, au lieu dit PG 1, alors qu’il se trouvait au bord de la route en compagnie d’autres jeunes gens. Un de ses compagnons, à l’aide d’une brouette, avait tenté de le conduire au Centre hospitalier régional de Ntchèngué situé à quelques centaines de mètres de là.
Mais le jeune homme a rendu l’âme quelques heures plus tard. Les parents alertés, ont eu du mal à trouver un lieu pour la conservation du corps de leur enfant. Toutes les morgues de la ville étaient saturées. « Je n’ai plus assez de place. La morgue de l’ancien hôpital central c’est plein. Ici, j’en ai déjà 16 et celui-ci, où dois-je le mettre ?», avait déclaré l’employé de la morgue de l’hôpital de Ntchengué. C’est après d’âpres tractations qu’il avait finalement accepté de prendre le corps du jeune Ndongo, le dix-septième enregistré dans la structure.
Un homme d’une trentaine d’années, Jean-Marie Bilongha, sans emploi, domicilié au quartier Bac Aviation, fut abattu par des militaires circulant à vive allure dans le quartier à bord de leur véhicule. Son corps criblé de balle fut retrouvé gisant dans une mare de sang sur le bas-côté. Tout comme une adolescente de 16 ans, Ursule KOUMBA, refroidie par balle au passage d’un autre camion rempli de militaires.
Mus par un instinct bestial inouï, ces derniers ont accentué la liste des victimes de façon exponentielle. Ainsi, un sourd-muet, Christian Onanga, fut abattu le vendredi 4 septembre vers 19 heures, par une balle de militaire circulant à vive allure au quartier Mini prix, alors qu’il tentait de traverser la chaussée. Il fut inhumé par sa famille, le samedi 18 septembre.
Un jeune homme de 26 ans, Martial Owane, avait reçu des balles tirées par deux hommes armés en civil, le 21 septembre vers 17 heures à l’entrée de la Laverie Moderne au quartier Sud. Son décès fut constaté à 19 heures au CHR de Ntchèngué. Le parquet de Port-Gentil avait argué de la légitime défense face à un évadé de prison qui aurait agressé le policier. Ce qui était faux.
UN SEUL POLICIER A ABATTU HUIT PERSONNES ! La victime avait purgé sa peine et avait été libérée au mois de juin 2009. Lorsque le 21 septembre 2009, il fut interpellé, reconnaissant le policier qui l’avait fait incarcérer précédemment, il avait tenté de fuir ; c’est alors que l’agent de la Police Judiciaire lui avait tiré trois balles dans le dos. La famille du jeune Owane, conduite par sa mère, s’était rendue le mardi 22 septembre vers 18 heures pour exiger qu’on lui permette d’inhumer elle-même le corps de son enfant que la P.J. voudrait enterrer clandestinement. Le même policier à l’origine de la bavure, avait, lui seul, tué huit personnes pendant les violences post-émeutes post-électorales.
Outre ces cas clairement identifiés, des sources dignes de foi et le témoignage du responsable du cimetière de Ntchèngué avaient évoqué le nombre probable de 57 décès. Il faut ajouter à ces morts ceux largués par hélicoptère et ceux embarqués dans les pirogues et ramenés dans les villages par peur des représailles brandies par le pouvoir. La difficulté de les recenser vient du fait qu’un climat de terreur règne à Port Gentil autour de ces morts.
Des menaces de mort furent proférées sur quiconque donnerait des informations au sujet des personnes mortes des suites des fusillades des journées d’émeutes. Pourtant des endroits bien précis semblaient propices pour cette expertise indispensable : les morgues du Centre Hospitalier Régional de Ntchèngué et celle de l’ancien hôpital central, gérées respectivement par les sociétés des pompes funèbres CASEPGA et GABOSEP. Mais leurs responsables s’étaient murés dans une attitude mutique par peur des représailles.
La morgue du CHR de Ntchèngué est l’établissement où semble être passé le plus grand nombre de corps. Mais le directeur régional de Santé de l’époque, Madame Sefou, avait menacé de licenciement les médecins ou tout personnel qui livrerait des informations concernant le nombre de morts liés aux évènements. Elle avait également retiré certificats médicaux, déclarations de décès ainsi que les dossiers médicaux de ces morts.
CHARNIER. Un agent de CASEPGA avait indiqué que 18 corps de personnes tuées par balles ont séjourné dans cet établissement entre le 4 et le 7 septembre 2009, date à laquelle interdiction leur a été notifiée de recevoir ces corps. Le nombre des victimes des violences postélectorales de Port-Gentil, minoré à dessein par le gouvernement, était donc beaucoup plus élevé. « Le gouvernement avait avancé le chiffre de trois morts seulement. L’armée ne pouvait pas tirer pendant quatre jours et ne tuer de trois personnes », relève un marin en service à Port-Gentil au moment des faits.
Outre ces cas de tueries, plus de 300 personnes avaient été arrêtées. Seule une quarantaine fut présentée au tribunal de Port-Gentil. Où sont passées les autres ? Les autorités ont prétendu qu’elles avaient été transférées au pénitencier de Franceville, après la destruction de la prison centrale de Port-Gentil lors des émeutes. De nombreuses familles sont jusqu’à ce jour sans nouvelles de leurs proches. Le silence s’éternisant, elles ont conclu à leur élimination physique.
Des sources concordantes ont d’ailleurs fait état de l’existence d’un charnier aux confins de Ntchengué. L’implantation d’une base militaire a été perçue comme un contre-feu. « C’est pour que les personnes qui font l’extraction de sable dans la zone ne puissent pas découvrir le charnier que les autorités ont implanté une base militaire après les violences postélectorales. Cette base n’y existait pas. La zone n’était pas occupée. Avec l’agrandissement de la ville, le risque était grand de voir des riverains faire la découverte du fameux charnier », a expliqué une autorité municipale de Port-Gentil.